Comprendre l’appropriation culturelle
DÉFINITIONS, ÉVOLUTION ET MISE EN CONTEXTE
DÉFINITIONS, ÉVOLUTION ET MISE EN CONTEXTE
Emprunté au bas latin appropriatio, le terme « appropriation » s’emploie dès le 14e siècle dans le domaine de la médecine pour définir une assimilation naturelle d’aliments par l’organisme (REY, 2010). Le terme évolue au fil des siècles. Par exemple, vers 1636, il décrit l’action de s’attribuer des biens et au 18e siècle, le terme s’utilise également afin de parler de « l’état où sont mis deux corps qui ne peuvent s’unir ensemble que par le concours d’un troisième corps, qui dispose les deux premiers à s’unir » (CNRTL, 2012). Au départ, il ne semble donc pas y avoir de connotation négative lié au mot « appropriation », qui fait référence au fait de prendre quelque chose, d’acquérir un élément ou encore de l’adapter.
Le concept d’appropriation culturelle est quant à lui apparu pour la première fois en anglais en 1976 dans une communication de Kenneth Coutts-Smith. Cet artiste, historien de l’art et professeur de l’Université de Toronto a alors utilisé le terme « colonialisme culturel » pour décrire l’appropriation par les Occidentaux d’éléments culturels provenant des différentes populations qu’ils avaient colonisées et qu’ils continuaient de dominer.
Depuis les années 1980, les ouvrages, les essais et les réflexions au sujet de l’appropriation culturelle se sont multipliés. James O. Young demeure un des auteurs importants ayant réfléchi à la question d’un point de vue philosophique et éthique (2008). Selon lui, l’appropriation culturelle survient lorsque des membres exogènes à une culture (Young les appelle des outsiders) prennent possession pour leur propre usage et leur unique bénéfice d’éléments créés par les membres d’une autre culture (que Young nomme les insiders). Les rapports de pouvoir ne vont pas nécessairement de soi, selon la position hégémonique ou non de la culture des outsiders.
Au cours des dernières années, au Québec comme ailleurs dans le monde, plusieurs communautés culturelles historiquement colonisées, invisibilisées et subordonnées ont fait entendre leur voix par le biais de leurs luttes pour dénoncer les relations de pouvoir toujours bien ancrées dans les sociétés contemporaines et faire reconnaître leurs droits.
Young répertorie plusieurs types d’appropriation culturelle :
L’appropriation d’objets d’art (lorsqu’un objet tangible, par exemple une peinture ou une sculpture, passe d’une culture à une autre culture)
L’appropriation de contenu (implique un objet culturel intangible, par exemple une chanson, un poème, une histoire)
L’appropriation de style (lorsque certains éléments propres à une culture sont reproduits par des membres d’une autre culture, par exemple, le jazz)
L’appropriation de motif (lorsque des membres d’une culture créent de nouvelles œuvres à partir de motifs propres à certaines cultures sans imiter le style, par exemple, Picasso et ses Demoiselles d’Avignon, inspirées de sculptures africaines)
L’appropriation de sujet ou « l’appropriation de voix » (un artiste d’une culture représente des individus/institutions d’une autre culture, écrit au sujet d’une autre culture que la sienne dans un ouvrage de fiction ou de non-fiction)
Pour chacun de ces types d’appropriation, Young voit des formes d’appropriation morales et immorales, inoffensives et offensantes, selon le cas. Selon lui, l’appropriation culturelle cause un tort à une culture dans les cas où il y aurait un vol ou une détention litigieuse d’objets culturels, une représentation erronée, une distorsion de certains aspects ou une perpétuation de stéréotypes. Aujourd’hui, il est important de distinguer « appropriation culturelle » et « emprunt culturel », ce dernier offrant des possibilités de renouveler le regard sur une culture, de contrer des idées préconçues et d’engendrer de nouvelles œuvres. Ce qu’il faut éviter c’est l’effacement de l’autre, une représentation négative et nuisible de sa culture et la perpétuation de situations potentiellement porteuses d’injustices systémiques.
Pour évaluer la manière d’aborder un projet artistique impliquant une forme d’emprunt culturel, il est possible de se référer à la boussole proposée sur ce site.
Toute compréhension de la notion d’appropriation culturelle engage la mise en perspective des luttes des communautés pour leur décolonisation. Il est possible de penser aux Autochtones au Québec et au Canada, en gardant en tête que l’appropriation culturelle ne concerne pas que ce contexte.
Principaux événements liés aux luttes pour les droits des Autochtones entre 1982 et 2019 (Québec et Canada)
Ils ont contribué à nourrir les mouvements d’émancipation et les revendications politiques et identitaires. C’est dans ce contexte qu’est née, par exemple, la polémique entourant le spectacle « Kanata » . Les œuvres et les gestes artistiques peuvent consciemment ou inconsciemment perpétuer des rapports de domination entre les populations issues de la colonisation de peuplement et les Autochtones.
1Le spectacle Kanata, écrit et mis en scène par Robert Lepage, a commencé à être répété en 2015. La polémique a éclaté à l’été 2018, à Montréal.
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